La Maison à vapeur在线阅读

La Maison à vapeur

Txt下载

移动设备扫码阅读

CHAPITRE XIV. Le cinquantième tigre du capitaine Hod.

Le colonel Munro, ses amis, ses compagnons, n'avaient plus rien à craindre, ni du nabab, ni des Indous, qui s'étaient attachés à sa fortune, ni de ces Dacoits, dont il avait formé une redoutable bande dans cette partie du Bundelkund.

Au bruit de l'explosion, les soldats du poste de Jubbulpore étaient sortis en nombre imposant. Ce qui restait des compagnons de Nana Sahib, se trouvant sans chef, avait aussitôt pris la fuite.

—Sans doute, répondit le capitaine, en laissant échapper un gros soupir, mais ce ne sera plus lui!»

—On pourra en fabriquer un autre… un autre, qui sera plus puissant encore! dit Banks.

—Mais il est tué, mon colonel.

—Comment! Il est tué?

À vrai dire, aucun de ses amis ne se résignait à désespérer de la prochaine guérison de lady Munro. Tous attendaient avec confiance un événement qui seul pouvait profondément modifier l'existence du colonel.

À cette époque, Maucler fut obligé de quitter Calcutta pour revenir en Europe. Il le fit en même temps que le capitaine Hod, dont le congé était expiré et que le dévoué Fox allait suivre aux cantonnements militaires de Madras.

«Pauvre bête! ne put s'empêcher de s'écrier le capitaine Hod, devant le cadavre de son cher Géant d'Acier.

«Laurence! Laurence!» s'était écrié le colonel, et lady Munro, le reconnaissant enfin était tombée dans ses bras.

«Adieu! capitaine, lui dit le colonel Munro. Je suis heureux de penser que vous n'avez rien à regretter de votre voyage à travers l'Inde septentrionale, si ce n'est peut-être de n'avoir pas tué votre cinquantième tigre.

Une semaine plus tard, les hôtes de Steam-House étaient réunis dans le bungalow de Calcutta. Là allait recommencer une existence bien différente de celle qui avait empli jusqu'alors la riche habitation. Banks y devait passer les loisirs que ses travaux lui laisseraient, le capitaine Hod les congés dont il pourrait disposer. Quant à Mac Neil et Goûmi, ils étaient de la maison et ne devaient jamais se séparer du colonel Munro.

Un mois se passa. Pas un des compagnons du colonel, pas un de ses serviteurs n'avait songé à le quitter. Le jour, qui n'était pas éloigné, où l'on pourrait entrevoir la guérison de la jeune femme, ils voulaient tous être là.

Tout d'abord, ils trouvèrent, épars sur le sol, cinq ou six cadavres mutilés. C'étaient ceux des assaillants, qui s'étaient jetés sur le Géant d'Acier, afin de dégager Nana Sahib.

Quant au Géant d'Acier, il était entièrement détruit par l'explosion de la chaudière. L'une de ses larges pattes avait été rejetée à une grande distance. Une partie de sa trompe, lancée contre le talus, s'y était enfoncée et ressortait comme un bras gigantesque. Partout des tôles gondolées, des écrous, des boulons, des grilles, des débris de cylindre, des articulations de bielles. Au moment de l'explosion, lorsque les soupapes chargées ne pouvaient plus lui offrir d'issue, la tension de la vapeur avait du être effroyable et dépasser peut-être vingt atmosphères.

Pendant qu'ils se livraient à ces investigations, l'ingénieur et ses compagnons eurent la pensée de rechercher s'ils ne trouveraient pas quelques restes de Nana Sahib. À défaut de la figure du nabab, facile à reconnaître, celle de ses mains à laquelle il manquait un doigt leur eût suffi pour constater l'identité. Ils auraient bien voulu avoir cette preuve incontestable de la mort de celui qu'on ne pouvait plus confondre avec Balao Rao, son frère.

Mais, pour Banks et les siens, il n'était pas admissible que Nana Sahib eût pu survivre à l'explosion.

Mais ni le capitaine Hod, son fanatique admirateur, ni Banks, son créateur ingénieux, ni aucun des membres de l'expédition, ne devaient jamais oublier ce «fidèle animal», auquel ils avaient fini par accorder une vie réelle. Longtemps le bruit de l'explosion qui l'avait anéanti retentirait dans leur souvenir. Aussi ne s'étonnera-t-on pas qu'avant de quitter Jubbulpore, Banks, le capitaine Hod, Maucler, Fox, Goûmi, eussent voulu retourner sur le théâtre de la catastrophe.

Mais c'était tout. Du reste de la bande, il n'y avait plus trace. Au lieu de retourner à leur repaire de Ripore, maintenant connu, les derniers fidèles de Nana Sahib avaient dû se disperser dans la vallée de la Nerbudda.

Mais aucun des débris sanglants, qui jonchaient le sol, ne semblait avoir appartenu à celui qui fut Nana Sahib. Ses fanatiques avaient-ils emporté jusqu'au dernier vestige de ses reliques? Cela était plus que probable.

Les médecins, consultés sur l'état de lady Munro, recommandèrent de la conduire dans une villa des environs, où le calme, joint à leurs soins de tous les jours, au dévouement incessant de son mari, ne pouvait manquer de produire un salutaire effet.

Le lendemain, 4 octobre, tous quittaient Jubbulpore dans un wagon mis à la disposition du colonel Munro et de son personnel. Vingt-quatre heures plus tard, ils franchissaient les Ghâtes occidentales, ces Andes indoues, qui se développent sur une longueur de trois cent soixante lieues, au milieu d'épaisses forêts de banians, de sycomores, de teks, entremêlés de palmiers, de cocotiers, d'areks, de poivriers, de sandals, de bambous. Quelques heures après, le railway les déposait à l'île de Bombay, qui, avec les îles Salcette, Éléphanta et autres, forme une magnifique rade et porte à son extrémité sud-est la capitale de la Présidence.

Le colonel Munro se fit reconnaître. Une demi-heure après, tous arrivaient à la station, où ils trouvèrent abondamment ce qui leur manquait, et particulièrement les vivres, dont ils avaient le plus pressant besoin.

Le colonel Munro ne devait pas rester dans cette grande ville, où se coudoient des Arabes, des Persans, des Banyans, des Abyssiniens, des Parsis ou Guèbres, des Scindes, des Européens de toutes nationalités, et même,—paraît-il,—des Indous.

Lady Munro fut logée dans un confortable hôtel, en attendant le moment de la conduire à Bombay. Là, sir Edward Munro espérait rendre la vie de l'âme à celle qui ne vivait plus que de la vie du corps, et qui serait toujours morte pour lui, tant qu'elle n'aurait pas recouvré la raison!

Ils revinrent à la station, non sans que le capitaine Hod eût ramassé un morceau d'une des défenses du Géant d'Acier,— précieux débris, dont il voulait faire un souvenir.

Ils eurent enfin cette joie. Peu à peu lady Munro revint à la raison. Ce charmant esprit se reprit à penser. De ce qu'avait été la Flamme Errante, il ne resta plus rien, pas même le souvenir.

Il n'y avait évidemment plus rien à craindre de la bande des Dacoits. Toutefois, par surcroît de précaution, lorsque l'ingénieur et ses compagnons arrivèrent au poste des Vindhyas, un détachement de soldats se joignit à eux, et vers onze heures, ils atteignaient l'entrée du défilé.

Il fut convenu que, dès le lendemain, on partirait pour Bombay. Le premier train ramènerait tous les hôtes de Steam-House vers la capitale de l'Inde occidentale. Cette fois, ce serait la vulgaire locomotive qui les emporterait à toute vitesse, et non plus l'infatigable Géant d'Acier, dont il ne restait maintenant que des débris informes.

Il devait néanmoins en résulter ceci: c'est que, puisqu'il n'y avait aucune preuve certaine de la mort de Nana Sahib, la légende allait reprendre ses droits; c'est que, dans l'esprit des populations de l'Inde centrale, l'insaisissable nabab passerait toujours pour vivant, en attendant que l'on fit un dieu immortel de l'ancien chef des Cipayes.

Et maintenant, de l'éléphant artificiel dont les hôtes de Steam-House se montraient si fiers, de ce colosse qui provoquait la superstitieuse admiration des Indous, du chef-d'oeuvre mécanique de l'ingénieur Banks, de ce rêve réalisé du fantaisiste rajah de Bouthan, il ne restait plus rien qu'une carcasse méconnaissable et sans valeur!

—Sans doute, répondit le capitaine Hod avec un geste superbe. Quarante-neuf tigres et… Kâlagani… cela ne fait-il pas mes cinquante?»

1.10%
CHAPITRE XIV. Le cinquantième tigre du capitaine Hod.