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Un drame dans les airs

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I

Au mois de septembre 185., j'arrivais à Francfort-sur-le-Mein. Mon passage dans les principales villes d'Allemagne avait été brillamment marqué par des ascensions aérostatiques; mais, jusqu'à ce jour, aucun habitant de la Confédération ne m'avait accompagné dans ma nacelle, et les belles expériences faites à Paris par MM. Green, Eugène Godard et Poitevin n'avaient encore pu décider les graves Allemands à tenter les routes aériennes.

Cependant, à peine se fut répandue à Francfort là nouvelle de mon ascension prochaine, que trois notables demandèrent la faveur de partir avec moi. Deux jours après, nous devions nous enlever de la place de la Comédie. Je m'occupai donc immédiatement de préparer mon ballon. Il était en soie préparée à la gutta-percha, substance inattaquable aux acides et aux gaz, qui est d'une imperméabilité absolue, et son volume—trois mille mètres cubes—lui permettait de s'élever aux plus grandes hauteurs.

—Une fois à terre, nous nous expliquerons, répondis-je, piqué du ton léger avec lequel il me parlait.

—Suis-je ici?... Du droit que me donne l'impossibilité où vous êtes de me renvoyer!»

—Pour...?

—Pour causer avec vous.»

—Personne ne vous prie de descendre, monsieur!

—Monsieur, répondit-il, votre urbanité est toute française. Elle est du même pays que moi! Je vous serre moralement la main que vous me refusez. Prenez vos mesures et agissez comme bon vous semble! J'attendrai que vous ayez terminé.

—Merci! répondis-je sèchement.

—Je connais votre habileté, répondit posément l'inconnu, et vos belles ascensions ont fait du bruit. Mais si l'expérience est soeur de la pratique, elle est quelque peu cousine de la théorie, et j'ai fait de longues études sur l'art aérostatique. Cela m'a porté au cerveau!» ajouta-t-il tristement en tombant dans une muette contemplation.

—Eh! ne savez-vous donc pas que pareille chose est arrivée aux comtes de Laurencin et de Dampierre, lorsqu'ils s'élevèrent à Lyon, le 15 janvier 1784. Un jeune négociant, nommé Fontaine, escalada la galerie, au risque de faire chavirer la machine!... Il accomplit le voyage, et personne n'en mourut!

—Descendre! dit-il avec surprise ... Descendre!--Commençons par monter d'abord.»

—De quel droit...?

—Croyez-vous donc que je tarderai à descendre?

—Bah! ne songeons pas au retour!

«Vous m'en voulez! reprit-il. Bah! Je ne pouvais payer mon voyage, il fallait bien monter par surprise.

«Tout est-il paré?» criai-je.

«Nous voici à huit cents mètres! Les hommes ressemblent à des insectes! Voyez! Je crois que c'est de cette hauteur qu'il faut toujours les considérer, pour juger sainement de leurs proportions! La place de la Comédie est transformée en une immense fourmilière. Regardez la foule qui s'entasse sur les quais et le Zeil qui diminue. Nous sommes au-dessus de l'église du Dom. Le Mein n'est déjà plus qu'une ligne blanchâtre qui coupe la ville, et ce pont, le Mein-Brucke, semble un fil jeté entre les deux rives du fleuve.»

«Monsieur, je vous salue bien! me dit-il avec le plus grand flegme.

«Monsieur, dis-je alors en prenant le seul parti possible, vous êtes venu..., bien! vous resterez ... bien!... mais à moi seul appartient la conduite de l'aérostat ...

«Monsieur! m'écriai-je avec colère.

«Mon poids dérange votre équilibre, monsieur? dit-il. Vous permettez...»

«Lâchez tout!»

«Il n'est rien que je ne fasse pour vous, mon hôte, me dit mon compagnon. Si vous avez froid, j'ôterai mes habits et je vous les prêterai.

«Fâcheuse brume!» dit-il au bout de quelques instants

«Attention!»

Quand je me relevai, je me trouvai face à face avec un voyageur imprévu, le jeune homme pâle.

Parmi les personnes qui se pressaient autour de l'enceinte, je remarquai un jeune homme à la figure pâle, aux traits agités. Sa vue me frappa. C'était un spectateur assidu de mes ascensions, que j'avais déjà rencontré dans plusieurs villes d'Allemagne. D'un air inquiet, il contemplait avidement la curieuse machine qui demeurait immobile à quelques pieds du sol, et il restait silencieux entre tous ses voisins.

Nous devions partir à midi. C'était un coup d'oeil magnifique que le spectacle de cette foule impatiente qui se pressait autour de l'enceinte réservée, inondait la place entière, se dégorgeait dans les rues environnantes, et tapissait les maisons de la place du rez-de-chaussée aux pignons d'ardoises. Les grands vents des jours passés avaient fait silence. Une chaleur accablante tombait du ciel sans nuages. Pas un souffle n'animait l'atmosphère. Par un temps pareil, on pouvait redescendre à l'endroit même qu'on avait quitté.

Midi sonna. C'était l'instant. Mes compagnons de voyage ne paraissaient pas.

Les hommes se disposèrent. Un dernier coup d'oeil m'apprit que je pouvais partir.

Le jour de l'enlèvement était celui de la grande foire de septembre, qui attire tant de monde à Francfort. Le gaz d'éclairage, d'une qualité parfaite et d'une grande force ascensionnelle, m'avait été fourni dans des conditions excellentes, et, vers onze heures du matin, le ballon était rempli, mais seulement aux trois quarts, précaution indispensable, car, à mesure qu'on s'élève, les couches atmosphériques diminuent de densité, et le fluide, enfermé sous les bandes de l'aérostat, acquérant plus d'élasticité, en pourrait faire éclater les parois. Mes calculs m'avaient exactement fourni la quantité de gaz nécessaire pour emporter mes compagnons et moi.

Le baromètre était tombé à vingt-six pouces. Nous étions à peu près à six cents mètres de hauteur, au-dessus de la ville; mais rien ne trahissait le déplacement horizontal du ballon, car c'est la masse d'air dans laquelle il est enfermé qui marche avec lui. Une sorte de chaleur trouble baignait les objets étalés sous nos pieds et prêtait à leurs contours une indécision regrettable.

Le ballon, après s'être élevé de nouveau, était demeuré stationnaire.

Le ballon s'éleva lentement, mais j'éprouvai une commotion qui me renversa au fond de la nacelle.

La foule, à demi déçue, témoigna beaucoup de mauvaise humeur. Je n'hésitai pas à partir seul. Afin de rétablir l'équilibre entre la pesanteur spécifique du ballon et le poids qui aurait dû être enlevé, je remplaçai mes compagnons par de nouveaux sacs de sable, et je montai dans la nacelle. Les douze hommes qui retenaient l'aérostat par douze cordes fixées au cercle équatorial les laissèrent un peu filer entre leurs doigts, et le ballon fut soulevé à quelques pieds du sol. Il n'y avait pas un souffle de vent, et l'atmosphère, d'une pesanteur de plomb, semblait infranchissable.

L'inconnu consulta le baromètre et dit:

L'atmosphère s'était un peu refroidie.

Je regardais cet intrus, mais il ne prenait aucune garde à mon étonnement.

Je ne répondis pas.

J'étais abasourdi! Cet aplomb me décontenançait, et je n'avais rien à répondre.

J'examinai de nouveau mon compagnon.

J'envoyai au domicile de chacun d'eux, et j'appris que l'un était parti pour Hambourg, l'autre pour Vienne et le troisième pour Londres. Le coeur leur avait failli au moment d'entreprendre une de ces excursions qui, grâce à l'habileté des aéronautes actuels, sont dépourvues de tout danger. Comme ils faisaient, en quelque sorte, partie du programme de la fête, la crainte les avait pris qu'on ne les obligeât à l'exécuter fidèlement, et ils avaient fui loin du théâtre à l'instant où la toile se levait. Leur courage était évidemment en raison inverse du carré de leur vitesse ... à déguerpir.

J'emportais trois cents livres de lest, réparties dans des sacs; la nacelle, entièrement ronde, de quatre pieds de diamètre sur trois de profondeur, était commodément installée; le filet de chanvre qui la soutenait s'étendait symétriquement sur l'hémisphère supérieur de l'aérostat; la boussole était en place, le baromètre suspendu au cercle qui réunissait les cordages de support, et l'ancre soigneusement parée. Nous pouvions partir.

Il se fit quelque remuement dans la foule, qui me parut envahir l'enceinte réservée.

Et, sans attendre mon assentiment, il délesta le ballon de deux sacs qu'il jeta dans l'espace.

Et avant que je pusse l'empocher, deux sacs de sable, avaient été jetés par-dessus la nacelle, sans même avoir été vidés!

C'était un homme d'une trentaine d'années, simplement vêtu. La rude arête de ses traits dévoilait une énergie indomptable, et il paraissait fort musculeux. Tout entier à l'étonnement que lui procurait cette ascension silencieuse, il demeurait immobile, cherchant à distinguer les objets qui se confondaient dans un vague ensemble.

—Bah! Nécessité fait loi. Donnez-moi la main, je suis votre compatriote, vous vous instruirez dans ma compagnie, et ma conversation vous dédommagera de l'ennui que je vous ai causé!»

Je m'assis, sans répondre, à l'extrémité opposée de la nacelle. Le jeune homme avait tiré de sa houppelande un volumineux cahier. C'était un travail sur l'aérostation.

«Je possède, dit-il, la plus curieuse collection de gravures et caricatures qui ont été faites à propos de nos manies aériennes. A-t-on admiré et bafoué à la fois cette précieuse découverte! Nous n'en sommes heureusement plus à l'époque où les Montgolfier cherchaient à faire des nuages factices avec de la vapeur d'eau, et à fabriquer un gaz affectant des propriétés électriques, qu'ils produisaient par la combustion de la paille mouillée et de la laine hachée.

—Voulez-vous donc diminuer le mérite des inventeurs? répondis-je, car j'avais pris mon parti de l'aventure. N'était-ce pas beau d'avoir prouvé par l'expérience la possibilité de s'élever dans les airs?

—Eh! monsieur, qui nie la gloire des premiers navigateurs aériens? Il fallait un courage immense pour s'élever au moyen de ces enveloppes si frêles, qui ne contenaient que de l'air échauffé! Mais, je vous le demande, la science aérostatique a-t-elle donc fait un grand pas depuis les ascensions de Blanchard, c'est-à-dire depuis près d'un siècle? Voyez, monsieur!»

L'inconnu tira une gravure de son recueil.

«Voici, me dit-il, le premier voyage aérien entrepris par Pilâtre des Rosiers et le marquis d'Arlandes, quatre mois après la découverte des ballons. Louis XVI refusait son consentement à ce voyage, et deux condamnés à mort devaient tenter les premiers les routes aériennes. Pilâtre des Rosiers s'indigna de cette injustice, et, à force d'intrigues, il obtient de partir. On n'avait pas encore inventé cette nacelle qui rend les manoeuvres faciles, et une galerie circulaire régnait autour de la partie inférieure et rétrécie de la montgolfière. Les deux aéronautes durent donc se tenir sans remuer chacun à l'extrémité de cette galerie, car la paille mouillée qui l'encombrait leur interdisait tout mouvement. Un réchaud avec du feu était suspendu au-dessous de l'orifice du ballon; lorsque les voyageurs voulaient s'élever, ils jetaient de la paille sur ce brasier, au risque d'incendier la machine, et l'air plus échauffé donnait au ballon une nouvelle force ascensionnelle. Les deux hardis navigateurs partirent, le 21 novembre 1783, des jardins de la Muette, que le dauphin avait mis à leur disposition. L'aérostat s'éleva majestueusement, longea l'île des Cygnes, passa la Seine à la barrière de la Conférence, et, se dirigeant entre le dôme des Invalides et l'École militaire, il s'approcha de Saint-Sulpice. Alors les aéronautes forcèrent le feu, franchirent le boulevard et descendirent au delà de la barrière d'Enfer. En touchant le sol, le ballon s'affaissa et ensevelit quelques instants sous ses plis Pilâtre des Rosiers!

—Fâcheux présage! dis-je, intéressé par ces détails, qui me touchaient de près.

—Présage de la catastrophe qui devait, plus tard, coûter la vie à l'infortuné! répondit l'inconnu avec tristesse. Vous n'avez jamais rien éprouvé de semblable?

—Jamais

—Bah! les malheurs arrivent bien sans présage!» ajouta mon compagnon.

Et il demeura silencieux.

Cependant, nous avancions dans le sud, et déjà Francfort avait fui sous nos pieds.

«Peut-être aurons-nous de l'orage, dit le jeune homme.

—Nous descendrons auparavant, répondis-je.

—Par exemple! Il vaut mieux monter! Nous lui échapperons plus sûrement.»

Et deux nouveaux sacs de sable s'en allèrent dans l'espace.

Le ballon s'enleva avec rapidité et s'arrêta à douze cents mètres. Un froid assez vif se fit sentir, et cependant les rayons du soleil, qui tombaient sur l'enveloppe, dilataient le gaz intérieur et lui donnaient une plus grande force ascensionnelle.

«Ne craignez rien, me dit l'inconnu. Nous avons trois mille cinq cents toises d'air respirable. Au surplus, ne vous préoccupez pas de ce que je fais.»

Je voulus me lever, mais une main vigoureuse me cloua sur mon banc.

«Votre nom? demandai-je.

—Mon nom? Que vous importe?

—Je vous demande votre nom!

—Je me nomme Érostrate ou Empédocle, à votre choix.»

Cette réponse n'était rien moins que rassurante.

L'inconnu, d'ailleurs, parlait avec un sang-froid si singulier, que je me demandai, non sans inquiétude, à qui j'avais affaire.

«Monsieur, continua-t-il, on n'a rien imaginé de nouveau depuis le physicien Charles. Quatre mois après la découverte des aérostats, cet habile homme avait inventé la soupape, qui laisse échapper le gaz quand le ballon est trop plein, ou que l'on veut descendre; la nacelle, qui facilite les manoeuvres de la machine; le filet, qui contient l'enveloppe du ballon et répartit la charge sur toute sa surface; le lest, qui permet de monter et de choisir le lieu d'atterrage; l'enduit de caoutchouc, qui rend le tissu imperméable; le baromètre, qui indique la hauteur atteinte. Enfin, Charles employait l'hydrogène, qui, quatorze fois moins lourd que l'air, laisse parvenir aux couches atmosphériques les plus hautes et n'expose pas aux dangers d'une combustion aérienne. Le 1er décembre 1783, trois cent mille spectateurs s'écrasaient autour des Tuileries. Charles s'enleva, et les soldats lui présentèrent les armes. Il fit neuf lieues en l'air, conduisant son ballon avec une habileté que n'ont pas dépassée les aéronautes actuels. Le roi le dota d'une pension de deux mille livres, car alors on encourageait les inventions nouvelles!»

L'inconnu me parut alors en proie à une certaine agitation.

«Moi, monsieur, reprit-il, j'ai étudié et je me suis convaincu que les premiers aéronautes dirigeaient leurs ballons. Sans parler de Blanchard, dont les assertions peuvent être douteuses, Guyton-Morveaux, à l'aide de rames et de gouvernail, imprima à sa machine des mouvements sensibles et une direction marquée. Dernièrement, à Paris, un horloger, M. Julien, a fait à l'Hippodrome de convaincantes expériences, car, grâce à un mécanisme particulier, son appareil aérien, de forme oblongue, s'est manifestement dirigé contre le vent. M. Petin a imaginé de juxtaposer quatre ballons à hydrogène, et au moyen de voiles disposées horizontalement et repliées en partie, il espère obtenir une rupture d'équilibre qui, inclinant l'appareil, lui imprimera une marche oblique. On parle bien des moteurs destinés à surmonter la résistance des courants, l'hélice par exemple; mais l'hélice, se mouvant dans un milieu mobile, ne donnera aucun résultat. Moi, monsieur, moi j'ai découvert le seul moyen de diriger les ballons, et pas une académie n'est venue à mon secours, pas une ville n'a rempli mes listes de souscription, pas un gouvernement n'a voulu m'entendre! C'est infâme!»

L'inconnu se débattait en gesticulant, et la nacelle éprouvait de violentes oscillations. J'eus beaucoup de peine à le contenir.

Cependant, le ballon avait rencontré un courant plus rapide, et nous avancions dans le sud, à quinze cents mètres de hauteur.

«Voici Darmstadt, me dit mon compagnon, en se penchant par-dessus la nacelle. Apercevez-vous son château? Pas distinctement, n'est-ce pas! Que voulez vous? Cette chaleur d'orage fait osciller la forme des objets, et il faut un oeil habile pour reconnaître les localités!

—Vous êtes certain que c'est Darmstadt? demandai-je.

—Sans doute, et nous sommes à six lieues de Francfort.

—Alors il faut descendre!

—Descendre! Vous ne prétendez pas descendre sur les clochers, dit l'inconnu en ricanant.

—Non, mais aux environs de la ville.

—Eh bien! évitons les clochers!»

En parlant ainsi, mon compagnon saisit des sacs de lest. Je me précipitai sur lui; mais d'une main il me terrassa, et le ballon délesté atteignit deux mille mètres.

«Restez calme, dit-il, et n'oubliez pas que Brioschi, Biot, Gay-Lussac, Bixio et Barral sont allés à de plus grandes hauteurs faire leurs expériences scientifiques.

—Monsieur, il faut descendre, repris-je en essayant de le prendre par la douceur. L'orage se forme autour de nous. Il ne serait pas prudent...

—Bah! Nous monterons plus haut que lui, et nous ne le craindrons plus! s'écria mon compagnon. Quoi de plus beau que de dominer ces nuages qui écrasent la terre! N'est-ce point un honneur de naviguer ainsi sur les flots aériens? Les plus grands personnages ont voyagé comme nous. La marquise et la comtesse de Montalembert, la comtesse de Podenas, Mlle La Garde, le marquis de Montalembert sont partis du faubourg Saint-Antoine pour ces rivages inconnus, et le duc de Chartres a déployé beaucoup d'adresse et de présence d'esprit dans son ascension du 15 juillet 1781. À Lyon, les comtes de Laurencin et de Dampierre; à Nantes, M. de Luynes; à Bordeaux, d'Arbelet des Granges; en Italie, le chevalier Andréani; de nos jours, le duc de Brunswick ont laissé dans les airs la trace de leur gloire. Pour égaler ces grands personnages, il faut aller plus haut qu'eux dans les profondeurs célestes! Se rapprocher de l'infini, c'est le comprendre!»

La raréfaction de l'air dilatait considérablement l'hydrogène du ballon, et je voyais sa partie inférieure, laissée vide à dessein, se gonfler et rendre indispensable l'ouverture de la soupape; mais mon compagnon ne semblait pas décidé à me laisser manoeuvrer à ma guise. Je résolus donc de tirer en secret la corde de la soupape, pendant qu'il parlait avec animation, car je craignais de deviner à qui j'avais affaire! C'eût été trop horrible! Il était environ une heure moins un quart. Nous avions quitté Francfort depuis quarante minutes, et du côté du sud arrivaient contre le vent d'épais nuages prêts à se heurter contre nous.

«Avez-vous perdu tout espoir de faire triompher vos combinaisons? demandai-je avec un intérêt ... fort intéressé.

—Tout espoir! répondit sourdement l'inconnu. Blessé par les refus, les caricatures, ces coups de pied d'âne, m'ont achevé! C'est l'éternel supplice réservé aux novateurs! Voyez ces caricatures de toutes les époques, dont mon portefeuille est rempli!»

Pendant que mon compagnon feuilletait ses papiers, j'avais saisi la corde de la soupape, sans qu'il s'en fût aperçu. Il était à craindre, cependant, qu'il ne remarquât ce sifflement, semblable à une chute d'eau, que produit le gaz en fuyant.

«Que de plaisanteries faites sur l'abbé Miolan! dit-il. Il devait s'enlever avec Janninet et Bredin. Pendant l'opération, le feu prit à leur montgolfière, et une populace ignorante la mit en pièces! Puis la caricature des animaux curieux les appela Miaulant, Jean Minet et Gredin.»

Je tirai la corde de la soupape, et le baromètre commença à remonter. Il était temps! Quelques roulements lointains grondaient dans le sud.

«Voyez cette autre gravure, reprit l'inconnu, sans soupçonner mes manoeuvres. C'est un immense ballon enlevant un navire, des châteaux forts, des maisons, etc. Les caricaturistes ne pensaient pas que leurs niaiseries deviendraient un jour des vérités! Il est complet, ce grand vaisseau; à gauche, son gouvernail, avec le logement des pilotes; à la proue, maisons de plaisance, orgue gigantesque et canon pour appeler l'attention des habitants de la terre ou de la lune; au-dessus de la poupe, l'observatoire et le ballon-chaloupe; au cercle équatorial, le logement de l'armée; à gauche, le fanal, puis les galeries supérieures pour les promenades, les voiles, les ailerons; au-dessous, les cafés et le magasin général des vivres. Admirez cette magnifique annonce: «Inventé pour le bonheur du genre humain, ce globe partira incessamment pour les échelles du Levant, et à son retour il annoncera ses voyages tant pour les deux pôles que pour les extrémités de l'occident. Il ne faut se mettre en peine de rien; tout est prévu, tout ira bien. Il y aura un tarif exact pour tous les lieux de passage, mais les prix seront les mêmes pour les contrées les plus éloignées de notre hémisphère; savoir: mille louis pour un des dits voyages quelconques. Et l'on peut dire que cette somme est bien modique, eu égard à la célérité, à la commodité et aux agréments dont on jouira dans ledit aérostat, agréments que l'on ne rencontre pas ici-bas, attendu que dans ce ballon chacun y trouvera les choses de son imagination. Cela est si vrai, que, dans le même lieu, les uns seront au bal, les autres en station; les uns feront chère exquise et les autres jeûneront; quiconque voudra s'entretenir avec des gens d'esprit trouvera à qui parler; quiconque sera bête ne manquera pas d'égal. Ainsi, le plaisir sera l'âme de la société aérienne!» Toutes ces inventions ont fait rire ... Mais avant peu, si mes jours n'étaient comptés, on verrait que ces projets en l'air sont des réalités!»

Nous descendions visiblement. Il ne s'en apercevait pas!

«Voyez encore cette espèce de jeu de ballons, reprit-il, en étalant devant moi quelques-unes de ces gravures dont il avait une importante collection! Ce jeu contient toute l'histoire de l'art aérostatique. Il est à l'usage des esprits élevés, et se joue avec des dés et des jetons du prix desquels on convient, et que l'on paye ou que l'on reçoit, selon la case où l'on arrive.

—Mais, repris-je, vous paraissez avoir profondément étudié la science de l'aérostation?

—Oui, monsieur! oui! Depuis Phaéton, depuis Icare, depuis Architas, j'ai tout recherché, tout compulsé, tout appris! Par moi, l'art aérostatique rendrait d'immenses services au monde, si Dieu me prêtait vie! Mais cela ne sera pas!

—Pourquoi?

—Parce que je me nomme Empédocle ou Érostrate!»

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