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Nord contre Sud

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X. Rencontre

Oui! il fallait aller en avant. Cependant, en présence d'éventualités redoutables, toutes les précautions devaient être prises. Il était indispensable d'éclairer la marche, de reconnaître les épaisseurs de la cyprière, de se tenir prêt à tout événement.

Les armes furent donc visitées avec soin et mises en état de servir au premier signal. À la moindre alerte, les ballots déposés à terre, tous prendraient part à la défense. Quant à la disposition du personnel en marche, il ne serait pas modifié; Gilbert et Mars continueraient de rester à l'avant-garde, à une distance plus grande, afin de prévenir toute surprise. Chacun était prêt à faire, son devoir, bien que ces braves gens eussent visiblement le coeur serré depuis qu'un obstacle se dressait entre eux et le but qu'ils voulaient atteindre.

— À cent pas.

— Un campement établi sous les arbres et dont les feux sont encore très visibles.

— Tout d'abord, répondit Gilbert, reconnaître, si c'est possible, quel peut être ce détachement, avant d'essayer de le tourner.

— Que tu répondes franchement!

— Que me veut-on?…

— Que devons-nous faire? demanda Edward Carrol en s'adressant au jeune officier.

— Pas un cri! lui dit James Burbank en le contenant. Tu n'as rien à craindre de nous!

— Oui, pour la plupart, non sans s'être gardés toutefois. Nous avons aperçu quelques sentinelles, le fusil à l'épaule, qui vont et viennent entre les cyprès.

— Non, mon fils, je te demande de rester avec nous, répondit M. Burbank. Mars suffira.

— Non, j'irai, répondit Gilbert. Je ne puis m'en rapporter qu'à moi seul…

— Non, car les feux commencent à s'éteindre, répondit Gilbert. Mais je crois que nous ne nous sommes pas trompés en évaluant leur nombre à deux cent hommes!

— Loin d'ici?… demanda Edward Carrol.

— Je suis prêt, mon maître!»

— Je suis prêt à aller en reconnaissance, dit Mars.

— Gilbert, dit James Burbank, il n'est pas un de nous qui ne demande à risquer sa vie dans l'intérêt commun. Mais, pour faire cette reconnaissance avec quelque chance de ne pas être aperçu, il faut être seul…

— Et moi, à vous accompagner, ajouta Perry.

— Dorment-ils, Gilbert?

— C'est seul que j'irai.

— Avez-vous pu reconnaître quels sont les gens qui occupent ce campement?

«À moi! s'écria-t-il enfin.

«Qu'y a-t-il?… demanda James Burbank. Qu'avez-vous aperçu, Mars et toi?…

«Mon père, nous avons maintenant la certitude que ni Zermah ni ma soeur ne font partie de la troupe qui nous précède. Comme il n'y a aucune trace des pas d'un cheval sur le sol, si Zermah se trouvait là, il est évident qu'elle irait à pied en portant ma soeur dans ses bras, et ses vestiges seraient aisément reconnaissables, comme ceux de Dy pendant les haltes. Mais il n'existe pas une seule empreinte d'un pied de femme ou d'enfant. Quant à ce détachement, nul doute qu'il soit muni d'armes à feu. En maint endroit, on trouve des coups de crosse sur le sol. J'ai même remarqué ceci: c'est que ces crosses doivent être semblables à celles des fusils de la marine. Il est donc probable que les milices floridiennes avaient à leur disposition des armes de ce modèle, sans quoi ce serait inexplicable. En outre, et cela n'est malheureusement que trop certain, cette troupe est au moins dix fois plus nombreuse que la nôtre. Donc, il faut manoeuvrer avec une extrême prudence à mesure que l'on se rapproche d'elle!»

Un peu après dix heures, James Burbank arrêta d'un mot le groupe de Noirs, en tête duquel il se trouvait avec le régisseur. Son fils et Mars venaient de se replier rapidement sur eux. Tous, immobiles, attendaient l'explication de cette brusque retraite.

Un instant après, cet homme était bâillonné, enlevé dans les bras du vigoureux métis, contre lequel il se défendait en vain, et rapidement emporté vers la clairière où se tenait James Burbank.

Rien n'avait donné l'éveil aux autres sentinelles qui gardaient le campement, — preuve qu'elles veillaient avec négligence. Quelques instants après, Mars arrivait avec son fardeau et le déposait aux pieds de son jeune maître.

On prit alors le parti de ne se remettre en marche qu'après la chute du jour. La nuit serait obscure. Le ciel était nuageux. La lune, presque à son dernier quartier, ne devait se lever que fort tard. Cela permettrait de se rapprocher du détachement dans des conditions meilleures. Peut-être serait-il possible de le reconnaître, sans avoir été aperçu, de le tourner en se dissimulant sous les profondeurs de la forêt, de prendre les devants pour se porter vers le sud-est, de manière à le précéder au lac Okee-cho-bee et à l'île Carneral.

Mars s'avançait alors avec une extrême prudence, ne quittant l'abri d'un tronc d'arbre que pour un autre. Il s'approchait ainsi avec moins de risques d'être aperçu. Il espérait arriver assez près pour observer la disposition des lieux, reconnaître le nombre des hommes, et surtout à quel parti ils appartenaient. Cela ne laisserait pas d'être assez difficile. La nuit était sombre, et les feux ne donnaient plus aucune clarté. Pour réussir, il fallait se glisser jusqu'au campement. Or, Mars avait assez d'audace pour le faire, assez d'adresse pour tromper la vigilance des sentinelles qui étaient de garde.

Mars s'approchait lentement du factionnaire, lorsque le bruit d'une branche sèche qu'il venait de briser du pied, révéla soudain sa présence. Aussitôt l'homme se redressa, releva la tête, se pencha, regarda à droite, à gauche. Sans doute, il vit quelque chose de suspect, car il saisit son fusil et l'épaula…

Mars lui enleva le mouchoir qui comprimait sa bouche, et il fallut attendre qu'il eût repris ses sens pour l'interroger.

Le soir, on s'arrêta à la limite d'une étroite clairière. Elle avait dû être occupée quelques heures avant, ainsi que l'indiquaient, cette fois, des amas de cendres à peine refroidies, restes des feux qui avaient été allumés pour le campement.

Le pas n'avait point été ralenti. Toutefois, il avait paru prudent de ne pas suivre les traces toujours nettement indiquées. Mieux valait, s'il était possible, ne point se rencontrer avec le détachement qui s'avançait dans la direction des Everglades. Malheureusement, on reconnut bientôt que ce serait assez difficile. En effet, ce détachement n'allait pas en ligne directe. Les empreintes faisaient de nombreux crochets à droite, à gauche - - ce qui indiquait une certaine hésitation dans la marche. Néanmoins, leur direction générale était vers le sud.

La petite troupe, ayant toujours Mars et Gilbert en éclaireurs, partit vers huit heures et demie, et s'engagea silencieusement sous le dôme des arbres, au milieu d'une assez profonde obscurité. Pendant deux heures environ, tous cheminèrent ainsi, assourdissant le bruit de leurs pas pour ne point se trahir.

Il n'y avait qu'à suivre les recommandations du jeune officier. C'est ce qui fut fait. Quant aux déductions qu'il tirait de la quantité et de la forme des empreintes, elles devaient être justes. Que la petite Dy ni Zermah ne fissent point partie de ce détachement, cela paraissait certain. De là, cette conclusion qu'on ne se trouvait pas sur la piste de l'Espagnol. Le personnel, venu de la Crique-Noire, ne pouvait être si important ni si bien armé. Donc, il ne semblait pas douteux qu'il y eût là une forte troupe de milices floridiennes se dirigeant vers les régions méridionales de la péninsule, et, par conséquent, sur les Everglades, où Texar était probablement arrivé depuis un ou deux jours.

Gilbert et Mars ne cessaient d'étudier ces marques avec une extrême attention. Comme elles pouvaient leur apprendre bien des choses, ils les observaient avec autant de soin que les Séminoles, si habiles à étudier les moindres indices sur les terrains qu'ils parcourent aux époques de chasse ou de guerre.

Et Mars, sans en demander davantage, disparut dans l'ombre.

Encore un jour d'écoulé. Aucune rencontre n'avait obligé James Burbank à s'arrêter. Il avait cheminé d'un bon pas et gagnait évidemment sur la troupe qui s'aventurait à travers la cyprière. Cela se reconnaissait aux traces multiples qui, d'heure en heure, apparaissaient plus fraîches sur ce sol un peu plastique. Rien n'avait été plus aisé que de constater le nombre des haltes qui étaient faites, soit au moment des repas, — et alors les empreintes se croisant, indiquaient des allées et venues en tous sens, — soit lorsqu'il n'y avait eu qu'un temps d'arrêt, sans doute pour quelque délibération sur la route à suivre.

En un instant, le groupe des Noirs se fut resserré autour de James Burbank, de Gilbert, d'Edward Carrol, du régisseur Perry. L'homme, à demi suffoqué, n'aurait pu prononcer un seul mot, même sans bâillon. L'obscurité ne permettait ni de voir sa figure ni de reconnaître, à son vêtement, s'il faisait ou non partie de la milice floridienne.

En somme, cette troupe, ainsi composée, était redoutable pour les compagnons de James Burbank.

En même temps, James Burbank et les siens se préparèrent pour résister à n'importe quelle attaque. Les ballots furent déposés à terre. Les porteurs reprirent leurs armes. Tous, le fusil à la main, se blottirent derrière les fûts de cyprès, de manière à se réunir en un instant, si un mouvement de concentration devenait nécessaire.

En effet, si l'un des hommes, qu'il observait depuis quelques instants, était debout, il ne remuait plus. Son fusil reposait sur le sol. Accoté contre un cyprès, la tête basse, il semblait prêt à succomber au sommeil. Peut-être ne serait-il pas impossible de se glisser derrière lui et d'atteindre ainsi la limite du campement.

De l'endroit que James Burbank occupait, on ne pouvait apercevoir le campement. Il fallait s'approcher d'une cinquantaine de pas pour que les feux, alors très affaiblis, devinssent visibles. De là, nécessité d'attendre que le métis fût de retour, avant de prendre le parti qu'exigeaient les circonstances. Très impatient, le jeune lieutenant s'était porté à quelques yards du lieu de halte.

Cette explication fut bientôt donnée.

Cependant Mars gagnait du terrain. Afin de ne point être embarrassé, le cas échéant, il n'avait pris ni fusil ni revolver. Il n'était armé que d'une hache, car il convenait d'éviter toute détonation et de se défendre sans bruit.

Ce fut à la suite d'un de ces examens approfondis, que Gilbert put dire affirmativement.

Bientôt le brave métis ne fut plus qu'à très courte distance de l'un des hommes de garde, lequel n'était lui-même qu'à sept ou huit yards du campement. Tout était silencieux. Évidemment fatigués par une longue marche, ces gens dormaient d'un profond sommeil. Seules, les sentinelles veillaient à leur poste avec plus ou moins de vigilance — ce dont Mars ne tarda pas à s'apercevoir.

Avant qu'il eût fait feu, Mars avait arraché l'arme braquée sur sa poitrine et terrassé le factionnaire, après lui avoir appliqué sa large main sur la bouche, sans qu'il eût pu jeter un cri.

— Cela dépendra des questions que vous me ferez, répliqua cet homme qui venait de retrouver une certaine assurance. — Avant tout, êtes-vous pour le Sud ou pour le Nord?

— Pour le Nord.

— Je suis prêt à répondre!»

Ce fut Gilbert qui continua l'interrogatoire.

«Combien d'hommes, demanda-t-il, compte le détachement qui est campé là-bas?

— Près de deux cents.

— Et il se dirige?…

— Vers les Everglades.

— Quel est son chef?

— Le capitaine Howick!

— Quoi! Le capitaine Howick, un des officiers du Wasbah! s'écria Gilbert.

— Lui-même!

— Ce détachement est donc composé de marins de l'escadre du commodore Dupont?

— Oui, fédéraux, nordistes, anti-esclavagistes, unionistes!» répondit l'homme, qui semblait tout fier d'énoncer ces diverses qualifications données au parti de la bonne cause.

Ainsi, au lieu d'une troupe de milices floridiennes que James Burbank et les siens croyaient avoir devant eux, au lieu d'une bande des partisans de Texar, c'étaient des amis qui leur arrivaient, c'étaient des compagnons d'armes, dont le renfort venait si à propos!

«Hurrah! hurrah!» s'écrièrent-ils avec une telle vigueur que tout le campement en fut réveillé.

Presque aussitôt, des torches brillaient dans l'ombre. On se rejoignait, on se réunissait dans la clairière, et le capitaine Howick, avant toute explication, serrait la main du jeune lieutenant, qu'il ne s'attendait guère à trouver sur la route des Everglades.

Les explications ne furent ni longues ni difficiles.

«Mon capitaine, demanda Gilbert, pouvez-vous m'apprendre ce que vous venez faire dans la Basse-Floride?

— Mon cher Gilbert, répondit le capitaine Howick, nous y sommes envoyés en expédition par le commodore.

— Et vous venez?…

— De Mosquito-Inlet, d'où nous avons d'abord gagné New-Smyrna dans l'intérieur du comté.

— Je vous demanderai alors, mon capitaine, quel est le but de votre expédition?

— Elle a pour but de châtier une bande de partisans sudistes, qui ont attiré deux de nos chaloupes dans un guet-apens, et de venger la mort de nos braves camarades!»

Et voici ce que raconta le capitaine Howick, — ce que ne pouvait connaître James Burbank, car le fait s'était passé deux jours après son départ de Camdless-Bay.

On n'a pas oublié que le commodore Dupont s'occupait alors d'organiser le blocus effectif du littoral. À cet effet, sa flottille battait la mer depuis l'île Anastasia, au-dessus de Saint-Augustine, jusqu'à l'ouvert du canal qui sépare les îles de Bahama du cap Sable, situé à la pointe méridionale de la Floride. Mais cela ne lui parut pas suffisant, et il résolut de traquer les embarcations sudistes jusque dans les petits cours d'eau de la péninsule.

C'est dans ce but qu'une de ces expéditions, comprenant un détachement de marins et deux chaloupes de l'escadre, fut envoyée sous le commandement de deux officiers, qui, malgré leur personnel restreint, n'hésitèrent pas à se lancer sur les rivières du comté.

Or, des bandes de sudistes surveillaient ces agissements des fédéraux. Ils laissèrent les chaloupes s'engager dans cette partie sauvage de la Floride, ce qui était une regrettable imprudence, puisque Indiens et milices occupaient cette région. Il en résulta ceci: c'est que les chaloupes furent attirées dans une embuscade du côté du lac Kissimmee, à quatre-vingts milles dans l'ouest du cap Malabar. Elles furent attaquées par de nombreux partisans, et là périrent, avec un certain nombre de matelots, les deux commandants qui dirigeaient cette funeste expédition. Les survivants ne regagnèrent Mosquito-Inlet que par miracle. Aussitôt le commodore Dupont ordonna de se mettre sans retard à la poursuite des milices floridiennes pour venger le massacre des fédéraux.

Un détachement de deux cents marins, sous les ordres du capitaine Howick, fut donc débarqué près de Mosquito-Inlet. Il eut bientôt atteint la petite ville de New-Smyrna, à quelques milles de la côte. Après avoir pris les renseignements qui lui étaient nécessaires, le capitaine Howick se mit en marche vers le sud- ouest. En effet, c'était aux Everglades, où il comptait rencontrer le parti auquel on attribuait le guet-apens de Kissimmee, qu'il conduisait son détachement, et il ne s'en trouvait plus qu'à une assez courte distance.

Tel était le fait qu'ignoraient James Burbank et ses compagnons, au moment où ils venaient d'être rejoints par le capitaine Howick dans cette partie de la cyprière.

Alors demandes et réponses de s'échanger rapidement entre le capitaine et le lieutenant à propos de tout ce qui pouvait les intéresser dans le présent et pour l'avenir.

«Tout d'abord, dit Gilbert, apprenez que, nous aussi, nous marchons vers les Everglades.

— Vous aussi? répondit l'officier, très surpris de cette communication. Qu'allez-vous y faire?

— Poursuivre des coquins, mon capitaine, et les punir comme ceux que vous allez châtier!

— Quels sont ces coquins?

— Avant de vous répondre, mon capitaine, demanda Gilbert, permettez-moi de vous poser une question. Depuis quand avez-vous quitté New-Smyrna avec vos hommes?

— Depuis huit jours.

— Et vous n'avez rencontré aucun parti sudiste dans l'intérieur du comté?

— Aucun, mon cher Gilbert, répondit le capitaine Howick. Mais nous savons de source sure que certains détachements des milices se sont réfugiés dans la Basse-Floride.

— Quel est donc le chef de ce détachement que vous poursuivez? Le connaissez-vous?

— Parfaitement, et j'ajoute même que, si nous parvenons à nous emparer de sa personne, monsieur Burbank n'aura pas à le regretter.

— Que voulez-vous dire?… demanda vivement James Burbank au capitaine Howick.

— Je veux dire que ce chef est précisément l'Espagnol que le Conseil de guerre de Saint-Augustine a récemment acquitté, faute de preuves, dans l'affaire de Camdless-Bay…

— Texar?»

Tous venaient de jeter ce nom, et avec quel accent de surprise, on l'imaginera sans peine!

«Comment, s'écria Gilbert, c'est Texar, le chef de ces partisans que vous cherchez à atteindre?

— Lui-même! Il est l'auteur du guet-apens de Kissimmee, de ce massacre accompli par une cinquantaine de coquins de son espèce qu'il commandait en personne, et, ainsi que nous l'avons appris à New-Smyrna, il s'est réfugié dans la région des Everglades.

— Et si vous parvenez à vous emparer de ce misérable?… demanda Edward Carrol.

— Il sera fusillé sur place, répondit le capitaine Howick. C'est l'ordre formel du commodore, et cet ordre, monsieur Burbank, tenez pour assuré qu'il sera immédiatement mis à exécution!»

On se figure aisément l'effet que cette révélation produisit sur James Burbank et les siens. Avec le renfort amené par le capitaine Howick, c'était la délivrance presque certaine de Dy et de Zermah, c'était la capture assurée de l'Espagnol et de ses complices, c'était l'immanquable châtiment qui punirait enfin tant de crimes. Aussi, que de bonnes poignées de main s'échangèrent entre les marins du détachement fédéral et les Noirs amenés de Camdless-Bay, et comme les hurrahs retentirent avec entrain!

Gilbert mit alors le capitaine Howick au courant de ce que ses compagnons et lui venaient faire dans le Sud de la Floride. Pour eux, avant tout, il s'agissait de délivrer Zermah et l'enfant, entraînées jusqu'à l'île Carneral, ainsi que l'indiquait le billet de la métisse. Le capitaine apprit en même temps que l'alibi, invoqué par l'Espagnol devant le Conseil de guerre, n'aurait dû obtenir aucune créance, bien qu'on ne parvînt pas à comprendre comment il avait pu l'établir. Mais, ayant à répondre maintenant du rapt et du massacre de Kissimmee, il paraissait difficile que Texar pût échapper au châtiment de ce double crime.

Toutefois, une observation inattendue fut faite par James Burbank, qui s'adressa au capitaine Howick:

«Pouvez-vous me dire, demanda-t-il, à quelle date s'est passé le fait relatif aux chaloupes fédérales?

— Exactement, monsieur Burbank. C'est le 22 mars que nos marins ont été massacrés.

— Eh bien, répondit James Burbank, à la date du 22 mars, Texar était encore à la Crique-Noire, qu'il se préparait seulement à quitter. Dès lors, comment aurait-il pris part au massacre qui se faisait à deux cents milles de là, près du lac Kissimmee?

— Vous dites?… s'écria le capitaine.

— Je dis que Texar ne peut être le chef de ces sudistes qui ont attaqué vos chaloupes!

— Vous vous trompez, monsieur Burbank, reprit le capitaine Howick. L'Espagnol a été vu par les marins échappés au désastre. Ces marins, je les ai interrogés moi-même, et ils connaissaient Texar qu'ils avaient eu toute facilité de voir à Saint-Augustine.

— Cela ne peut être, capitaine, répliqua James Burbank. Le billet écrit par Zermah, billet qui est entre nos mains, prouve qu'à la date du 22 mars, Texar était encore à la Crique-Noire.»

Gilbert avait écouté sans interrompre. Il comprenait que son père devait avoir raison. L'Espagnol n'avait pu se trouver, le jour du massacre, aux environs du lac Kissimmee.

«Qu'importe, après tout! dit-il alors. Il y a dans l'existence de cet homme des choses si inexplicables que je ne chercherai pas à les débrouiller. Le 22 mars, il était encore à la Crique-Noire, c'est Zermah qui le dit. Le 22 mars, il était à la tête d'un parti floridien à deux cents milles de là, c'est vous qui le dites d'après le rapport de vos marins, mon capitaine. Soit! Mais, ce qui est certain, c'est qu'il est maintenant aux Everglades. Or, dans quarante-huit heures, nous pouvons l'avoir atteint!

— Oui, Gilbert, répondit le capitaine Howick, et, que ce soit pour le rapt ou pour le guet-apens, si l'on fusille ce misérable, je le tiendrai pour justement fusillé! En route!»

Le fait n'en était pas moins absolument incompréhensible, comme tant d'autres qui se rapportaient à la vie privée de Texar. Il y avait encore là quelque inexplicable alibi, et on eût dit que l'Espagnol possédait véritablement le pouvoir de se dédoubler.

Ce mystère s'éclaircirait-il? on ne pouvait l'affirmer. Quoi qu'il en soit, il fallait s'emparer de Texar, et c'est à cela qu'allaient tendre les marins du capitaine Howick réunis aux compagnons de James Burbank.

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